Dignité humaine selon Montaigne
Christophe BOURIAU
DIGNITÉ HUMAINE ET IMAGINATION SELON MONTAIGNE
La présente étude ne traitera pas de l’imagination pour elle-même, mais en la rattachant au thème de l’humanisme, c’est-à-dire à la question du critère de la dignité humaine. Je souhaite manifester que l’imagination reçoit une fonction spécifique et particulièrement positive dans un certain courant de l’humanisme, celui développé exemplairement par
Montaigne.
Je me propose : 1) de présenter ce courant et sa spécificité par rapport à d’autres courants de l’humanisme au XVIe siècle (Montaigne n’est pas Pic de la Mirandole, Rabelais,
Barbaro) ; 2) de manifester les rôles que reçoit l’imagination dans un humanisme centré sur l’idée de métamorphose ; 3) d’élucider, en prenant pour fil conducteur le statut accordé à l’imagination, pourquoi certaines philosophies du XVIIe siècle marquent une rupture avec cet humanisme.
L’HUMANISME DE MONTAIGNE
«Homo» et «humanus» : le refus montaignien de la distinction
On trouve chez de nombreux auteurs de la Renaissance une nette distinction entre l’homo, c’est-à-dire l’homme comme espèce biologique, et l’humanitas, c’est-à-dire l’essence ou l’état «digne» auquel l’homme est censé parvenir. Dans cette perspective, il ne suffit pas d’être homme pour être humain : l’humanité se conquiert. Elle n’est pas le lot de tous les hommes, car certains s’humanisent, d’autres non.
On distingue principalement deux voies de l’humanisation. Pour un certain courant, illustré par des auteurs comme Ermolao Barbaro, Rabelais ou Alberti, c’est par la culture que l’homme s’humanise. Il peut exister des différences sur ce qu’il convient d’entendre ici par «culture». Pour Ermolao Barbaro, il s’agit avant tout de l’étude des lettres. Par nature, selon Barbaro, l’homme est un simple animal (homo), et il n’est humain (humanus) qu’en puissance. C’est l’acquisition des lettres qui permet à l’homo de développer ses capacités spécifiques pour