El caucho
On aurait pu exploiter la veine du fantastique en ce qui concerne les apparitions de Mme de Sainte Colombe, pourtant là aussi la sobriété prime. Les apparitions et disparitions de l’épouse défunte sont souvent narrées du point de vue interne, perçues par le regard ou les sensations des héros : « Quand il leva la tête, elle n’était plus là », « Il tourna sa tête à droite : elle était assise à ses côtés ». Ces scènes ne semblent pas fantastiques car elles sont données comme réelles (car datées) (« si c’était folie, elle lui donnait du bonheur, si c’était vérité, c’était un miracle »). La défunte apparaît donc simplement très pâle, qui sourit, parle, mange des gaufrettes. Le récit va même jusqu’à pénétrer son intériorité : « Il eut un air de douleur qui donna à Madame de Sainte Colombe le désir de porter la main vers lui ». Le contact avec les morts est à ce point évident, que le présent de vérité générale est employé : « Elle parlait lentement, comme font les morts ». Même chose dans le film : Corneau n’utilise jamais aucun effet d’apparition. Il emploie simplement la caméra subjective, par le regard de l’acteur. Dans les scènes de la cabane, la caméra se place derrière le héros, comme si le spectateur découvrait son épouse morte avec lui.
Le refus du pathos
Quignard a choisi de s’éloigner de toute forme de pathétique au profit d’une sorte d’esthétique, d’austérité, de retenue qui correspond bien au caractère de son héros. Le narrateur utilise surtout un point de vue externe qui instaure une distance entre la narration et le lecteur. Ainsi le narrateur évoque d’emblée des personnages dont le lecteur ne sait rien et s’en tient au factuel : il n’y a aucun développement sur les sentiments. Les phrases très courtes, sont réduites au minimum d’information et interdisent tout épanchement affectif. Mais cette sécheresse apparente n’exclut pas l’émotion : elle doit seulement se lire entre les lignes. La première apparition de Mme