Est on libre de se nuire ?
La morale veut que l'on traite autrui avec respect et dignité. De même, autrui doit nous rendre ce respect envers la personne humaine que nous sommes. C'est la valeur absolue de notre humanité qui fonde ces exigences. Mais vis-à-vis de soi-même, les choses semblent moins évidentes. Étant doué de liberté et possesseur de mon corps, il paraît clair que je peux user de cette liberté et de ce corps qui est le mien comme je l'entends. Me nuire, me faire mal paraissent ne poser aucun problème d'ordre moral, car, dans le cas présent, je suis tout à la fois victime (forcément consentante) et bourreau. L'objet et le sujet du mal se confondant. Toutefois, est-ce là réellement une manifestation de notre liberté ? Le psychotique qui se mutile, est-il vraiment libre ? Le drogué cherchant sa drogue est-il authentiquement libre ? On pourrait déjà remarquer que si "nul n'est méchant volontairement" (Cf. Platon), l'homme autodestructeur fait son mal en croyant faire son bien. Dès lors, l'erreur ou l'illusion préside à son choix pour le mal. Mais encore, la nuisance faite à et sur soi, n'est-elle pas aussi grave ou plutôt du même registre que celle fait à et sur autrui ? Si autrui est une personne respectable, car, appartenant à l'espèce humaine et donc libre, ne suis-je pas moi-même dépositaire de cette dignité donc... responsable et respectable ? La morale populaire ne dit-elle pas, à cet égard, "respecter autrui comme un autre soi-même" ? Si je ne dois pas nuire à autrui, c'est parce que cet autre n'est pas une simple chose parmi les choses mais un homme ou, autrement dit, qu'il n'est pas un simple moyen mais une fin. Or, étant homme, je ne peux me sentir autorisé à me nuire à moi-même non plus, car, ce serait me faire déchoir au rang de l'infra-humain. La morale kantienne dont l'impératif s'énonce de la sorte et ici très éclairante : "Agis de telle sorte que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre,