Fatima
Remarquons dans un premier temps que le narrateur ne présente pas l’ouvrage proprement comme un récit, mais il lui confère en réalité le statut de « chronique » qui, par définition, relate objectivement des événements historiques dans un ordre chronologique. Ainsi, comme il le dit lui-même, le locuteur s’appuiera sur une documentation riche et précise car il fait œuvre d’historien, et non d’écrivain : « Bien entendu, un historien, même s’il est amateur, a toujours ses documents. Le narrateur de cette histoire a donc les siens : son témoignage d’abord, celui des autres ensuite, puisque par son rôle, il fut amené à recueillir les confidences de tous les personnages de cette chronique, et, en dernier lieu, les textes qui finirent par lui tomber entre les mains. » D’ailleurs, la vision se veut réaliste dès les premières pages : la description de la ville est soumise à un regard aiguisé, lequel parvient à la fois à retranscrire une atmosphère mais aussi et surtout à exposer progressivement les points de vue de tous ceux qui vont subir l’épidémie. En somme, Camus cherche dans une certaine mesure à juxtaposer les documents les plus divers, afin de créer une suite de « journaux-carnets-notes-prêches-traités », dans l’optique de rendre compte de l’épaisseur multiple du réel, qu’un point de vue unique et constant aurait risqué d’aplanir, et sans doute d’affadir. Le narrateur opte en effet pour une focalisation complexe : il est à la fois individualisé en la personne du docteur Rieux, mais reste anonyme tout au long du récit : il incarne la « voix de la ville », et peut de fait être perçu comme une sorte de coryphée. Et c’est cet assemblage des multiples points de vue qui invite à croire en la neutralité du détenteur de parole.
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