Ferrat
C'est un univers morne à l'horizon plombé. Où nagent dans la nuit l'horreur et le blasphème. Baudelaire Nuit et brouillard! Titre évocateur! (1) Deux mots qui se complètent. Deux aspects du Chaos primitif, où se brouille toute mémoire. Deux images de l'oubli auquel furent vouées les victimes de l'Univers concentrationnaire. Deux images qui s'interpénètrent et se contiennent l'une l'autre.
Ils déclenchent infailliblement le souvenir de l'admirable film d'Alain Resnais, on ne peut plus sobre et plus éloquent. Mais que recouvrent ces mots?
Ils sont la traduction littérale de Nacht und Nebel bien plus expressifs en allemand.
Nacht und Nebel! C'est là l'interprétation du signe N.N. accolé par l'administration SS à tout détenu désigné dès sa déportation à la disparition, et qui, en aucune manière, ne pouvait faire partie du lot, combien maigre et hypothétique, des rescapés de "l'Enfer organisé".
Certes, on les laissait encore en vie, mais à seule fin d'utiliser leur force de travail. Chacun de nous savait ce qu'était un N.N., un Nacht und Nebel. C'est ainsi que nous les désignions entre nous.
Cette expression s'appliqua d'ailleurs petit à petit à tout concentrationnaire que l'épuisement - on l'appelait aussi Muselmann (musulman) par analogie avec l'aspect physique des fakirs ou des ascètes titubant de faiblesse à force de jeûnes - destinait aux gaz et aux injections mortelles.
Mais que signifiait à l'origine ce sigle N.N.? Jamais, semble-t-il, on n'a suffisamment insisté sur ce sens. Et pourtant, quel symbole!
En ces jours d'anniversaire de la libération des camps, il faut le dire et le redire afin d'y découvrir toute la symbolique nazie et concentrationnaire.
II suffit de consulter un dictionnaire allemand pour découvrir avec stupéfaction que ce signe était utilisé en Allemagne, bien avant le régime nazi et