Germinie lacerteux, chapitre v
Dans Germinie Lacerteux, œuvre inspirée du cas de leur propre bonne, les frères Goncourt peignent la déchéance et la souffrance d’une femme, servante impeccable le jour qui tombe dans la débauche dès la nuit tombée. Elle forme un duo singulier avec Mlle de Varandeuil, une vieille célibataire qui la prend à son service.
—Voilà, mademoiselle !… Regardez-moi, dit Germinie.
C’était à quelques mois de là. Elle avait demandé à sa maîtresse la permission d’aller ce soir-là au bal de noce de la sœur de son épicier qui l’avait prise pour demoiselle d’honneur, et elle venait se faire voir en grande toilette dans sa robe de mousseline décolletée.
Mademoiselle leva la tête du vieux volume, imprimé gros, où elle lisait, ôta ses lunettes, les mit dans le livre pour marquer la page, et fit :
—Toi, ma bigote, toi, au bal ! Sais-tu, ma fille… ça me paraît tout farce ! Toi et le rigodon… Ma foi, il ne te manque plus que d’avoir envie de te marier ! Une chienne d’envie !… Mais si tu te maries, je te préviens : je ne te garde pas… oust ! Je n’ai pas envie de devenir la bonne de tes mioches !… Approche un peu… Oh ! oh ! mais… sac papier ! mademoiselle Montre-tout ! On est bien coquette, je trouve, depuis quelque temps…
—Mais non, mademoiselle, essaya de dire Germinie.
—Avec cela que chez vous autres, reprit Mlle de Varandeuil en suivant son idée, les hommes sont de jolis cadets ! Ils te grugeront ce que tu as… sans compter les tapes… Mais le mariage… je suis sûre que ça te trotte la cervelle, cette histoire-là, de te marier quand tu vois les autres… C’est ça qui te donne cette frimousse-là, je parie ? Bon Dieu de Dieu ! Maintenant tourne un peu qu’on te voie, dit Mlle de Varandeuil avec son ton de caresse brusque ; et, mettant ses deux mains maigres aux deux bras de son fauteuil, croisant ses deux jambes l’une sur l’autre, et remuant le bout de son pied, elle se mit à inspecter Germinie et sa toilette.
—Que diable !