L’utopie est par définition une terre mise à distance, invitant à l’habiter sans pouvoir l’atteindre. Elle incarne une tension entre un lieu agréable – eutopia –, et un non-lieu, – outopia –, un paradoxe qui nourrit une production d’imaginaire, jusqu’à projeter un espace idéal à habiter. Libérée des contraintes terrestres, l’utopie cristallise des possibles. Par la mise à distance qui la caractérise, elle présente une forme unitaire, compacte ; une même logique guide la constitution de cet espace, le rendant cohérent. Alors qu”habiter1” se définit par une occupation d’un espace par un corps, l’utopie n’autorise aucune expérience physique du lieu. En revanche, elle s’inscrit dans un échange constant entre l’ici à habiter et l’ailleurs hanté par un idéal. Elle travaille en retour le réel et modèle le territoire, les villes, les habitations. Il existe un outil de réalisation de l’utopie, s’attachant à combler la distance entre l’ici et l’ailleurs, à façonner l’espace à habiter. Rendre habitable un lieu c’est tout d’abord assurer des conditions de vie humaine en fonction de critères biologiques, mais aussi le conformer à un idéal. L’habitabilité est cet arsenal technique qui réduit la distance entre l’utopie et l’espace à habiter. Elle est une notion qui s’est construite à partir du XIXe siècle en empruntant successivement le sens de ses dérivés : habiter, habitant, habitat, habitation, habitacle. Elle va être utilisée dans des domaines aussi divers que l’astronomie, l’urbanisme, l’architecture, l’aéronautique, l’automobile jusqu’à l’écologie. Son étude décrit un voyage perpétuel entre une terre lointaine et une terre proche, dont la médiation technique est la condition. L’histoire de l’habitabilité se divise en quatre périodes : projection, intervention, normalisation et génération. Dans la première, l’habitabilité ne modifie pas le réel, elle est une technique au service de la production d’un imaginaire. Comment alors peut-elle générer