Héritage et testament
Patrimoine et générations futures[1] par François Ost
Professeur aux Facultés universitaires Saint-Louis (Bruxelles)
Président de la Fondation pour les générations futures.
Notre héritage n'est précédé d'aucun testament. René Char
"Le patrimoine"… voilà bien un thème paradoxal pour une Fondation pour les générations futures. Le patrimoine n'est-il pas tourné vers le passé alors que, précisément, nous sommes invités à orienter nos regards vers le futur ? Le patrimoine, dans la tradition, c'est ce qui vient du père; le bien qui fait la fortune des familles - le XIXe siècle bourgeois en fera, avec Balzac, le symbole même de l'être au monde ramené à la propriété. Alors ? En serions-nous là ? Rendus craintifs par le changement de millénaire et réduits, au moment du passage, à faire et refaire l'inventaire de nos biens ? Embarrassés de nos avoirs et décidément incapables de sauter, les mains vides, dans l'inconnu du siècle qui vient ? Abordant l'avenir à rebours et, comme l'Angelus novus dont parlait Walter Benjamin, réduits à n'avancer qu'en jetant des regards désespérés vers l'arrière ? Notre fin de siècle qui ne se décline que sur le mode "post" ("postmodernisme", "postmétaphysique", "postindustriel") donne du crédit à cette hypothèse, qui révèle notre difficulté à nous détacher d'un passé qu'on prétend cependant dépasser. Mais si le patrimoine était précisément tout autre chose ? Moins une propriété qu'une promesse, moins une vérité qu'une question - moins un trésor en arrière qu'une quête en avant ? Bagage du voyageur, sans doute, mais dont la clé semble toujours s'être égarée; trésor, peut-être, mais dont le sésame reste encore à inventer. L'héritage sans testament dont parle René Char. Objet insolite dépourvu de mode d'emploi, legs énigmatique, grimoire dont la lettre s'efface. Un récit emprunté à Primo Levi nous rapprochera de ce sens. La scène se passe à