La caille
Ce fut M. de Bolestac qui me fit tirer mon premier coup de fusil. Il était un ami de ma mère .et je passai, cette année-là mes vacances chez lui, dans l'Aveyron, "au château". J'y arrivai alors qu'il sifflait son chien et partait pour la chasse. Je le suivis et, au moment où nous prenions la route, il appela: "La caille!" Alors parut une fille petite, ronde, aux yeux d'eau, qui surgit de derrière le mur de la ferme.
— Tu as encore ton sale fusil, papa, dit-elle. Tu vas encore tuer des bêtes?
M. de Bolestac rit:
— Des cailles, oui. Mais voici Jean que tu ne connais pas. Sa maman, souffrante à Paris, nous l'envoie pour deux mois. Cela va te faire un compagnon.
La fillette me prit la main et M. de Bolestac passa devant nous.
Nous fûmes bientôt devant un champ de blé, appelé le champ d'Alcor, que fauchait une machine attelée d'un cheval. Le travail tirait à sa fin il ne restait plus qu'une longue bande, très étroite d'épis. M. de Bolestac dit:
— Nous arrivons à temps. Nous allons voir s'envoler les cailles. Elles sont, pour sûr, réfugiées au coeur de ce qui reste.
On n'entendait plus que le bruit de la faucheuse mécanique qui couchait les javelles. Très vite ce qui restait du champ rétrécissait. Et soudain, il y eut un envol d'ailes blondes: une caille. M, de Bolestac, calmement la laissa s'éloigner, épaula, tira. Le petit oiseau tomba dans le chaume. M. de Bolestac expliquait, tout en la ramassant:
— Tu as vu les quatre petits qui partaient de l'autre côté? Oui. Eh bien! ils ont profité pour le faire de ce que je m'occupais de ieur mère. Elle s'est sacrifiée pour les sauver.
Et Danielle — son père l'avait surnommée "la caille" à cause de son corps potelé — me soufflait, dents serrées:
— Papa ne les aura pas. Ils sont partis. Leur mère a donné sa vie pour eux comme une bonne caille qu'elle était.
Elle saisit l'oiseau dans sa main, et je vis comme un rubis minuscule, au coin de l'oeil, fixe maintenant, apparaître une goutte de sang.