La Cigale de Jean Anouilh (version théâtrale)
« La Cigale », Jean Anouilh, Fables (→ Version théatrale)
CIGALE : _ J'ai chanté tout l'été, dans maints casinos, maintes boîtes. Je me trouve si bien pourvue, que même la bise étant venue, il m'en reste à droite, il m'en reste à gauche, dans plusieurs établissements. Je viens vous trouver car on m'a informé que vous étiez spécialisé dans les prêts hypothécaires.
RENARD : _ En effet, Madame, j'ai le plus grand respect pour votre art et pour les artistes. L'argent, hélas ! N'est qu'un aspect bien trivial, je dirais bien triste, si nous n'en avions tous besoin, de la condition humaine. L'argent réclame des soins. Il ne doit pourtant pas devenir une gêne. À d'autres qui n'ont pas vos dons de poésie, vous qui planez, laissez, laissez le rôle ingrat de gérer vos économies, à trop de bas calculs votre art s'étiolera. Vous perdriez votre génie.
CIGALE : _ Et bien, que dois-je donc faire ?
RENARD : _ Signez donc ce petit blanc-seing et ne vous occupez de rien. Croyez, Madame, je voudrais, moi, pouvoir, tout comme vous, ne sacrifier qu'aux muses !
CIGALE : _ Je crois que l'on s'amuse.
RENARD : _ Que dites-vous ?
CIGALE : _ Si j'ai frappé à votre porte, sachant le taux exorbitant que vous prenez, c'est que j'entends que la chose rapporte. Je sais votre taux d'intérêt. C'est le mien. Vous l'augmenterez légèrement, pour trouver votre bénéfice. J'entends que mon tas d'or grossisse. J'ai un serpent pour avocat. Il passera demain discuter du contrat.
RENARD : _ Entendu, je l'attendrais...
CIGALE : _ Je tiens par contre à préciser une chose, je veux que vous prêtiez aux pauvres seulement...
RENARD : _ C'est d'accord, je le ferais.
CIGALE : _ Oui, on dit qu'en cas de non-paiement d'une ou l'autre des échéances, c'est eux dont on vend tout le plus