La comedie doit elle seulement faire rire?
Ah, cruel ! tu m’as trop entendue !
Je t’en ai dit assez pour te tirer d’erreur.
Eh bien ! connais donc Phedre et toute sa fureur :
J’aime ! Ne pense pas qu’au moment que je t’aime,
Innocente a mes yeux, je m’approuve moi-meme ;
Ni que du fol amour qui trouble ma raison
Ma lache complaisance ait nourri le poison ;
Objet infortune des vengeances celestes,
Je m’abhorre encor plus que tu ne me detestes.
Les dieux m’en sont temoins, ces dieux qui dans mon flanc
Ont allume le feu fatal a tout mon sang ;
Ces dieux qui se sont fait une gloire cruelle
De seduire le coeur d’une faible mortelle.
Toi-meme en ton esprit rappelle le passe :
C’est peu de t’avoir fui, cruel, je t’ai chasse ;
J’ai voulu te paraitre odieuse, inhumaine ;
Pour mieux te resister, j’ai recherche ta haine.
De quoi m’ont profite mes inutiles soins ?
Tu me haissais plus, je ne t’aimais pas moins ;
Tes malheurs te pretaient encor de nouveaux charmes.
J’ai langui, j’ai seche dans les feux, dans les larmes :
Il suffit de tes yeux pour t’en persuader,
Si tes yeux un moment pouvaient me regarder…
Que dis-je ? cet aveu que je te viens de faire,
Cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ?
Tremblante pour un fils que je n’osais trahir,
Je te venais prier de ne le point hair :
Faibles projets d’un coeur trop plein de ce qu’il aime !
Helas ! je ne t’ai pu parler que de toi-meme !
Venge-toi, punis-moi d’un odieux amour :
Digne fils du heros qui t’a donne le jour,
Delivre l’univers d’un monstre qui t’irrite.
La veuve de Thesee ose aimer Hippolyte !
Crois-moi, ce monstre affreux ne doit point t’echapper ;
Voila mon coeur : c’est la que ta main doit frapper.
Impatient deja d’expier son offense,
Au-devant de ton bras je le sens qui s’avance.
Frappe : ou si tu le crois indigne de tes coups,
Si ta haine m’envie un supplice si doux,
Ou si d’un sang trop vil ta main serait trempee,
Au defaut de ton bras prete-moi ton epee ;
Donne.
Racine, Phèdre, 1677, acte II, scene