La contreverse de valadolid
1992
La scène se passe dans un couvent espagnol , à Valladolid , en 1550. Le pape a envoyé un cardinal pour trancher le débat qui oppose le philosophe Sépulvéda au dominicain Bartolomé de Las Casas . Le dominicain affirme que les Indiens sont des hommes comme les Européens . Sépulvéda , au contraire , considère que les Indiens sont nés pour être esclaves .
Eminence (1) , les habitants du Nouveau Monde sont des esclaves par nature . En tout point conformes à la description d’Aristote (2).
Cette affirmation demande des preuves , dit doucement le prélat (3).
Sépulvéda n’en disconvient pas . D’ailleurs , sachant cette question inévitable , il a préparé tout un dossier . Il en saisit le premier feuillet .
D’abord, dit – il , les premiers qui ont été découverts se sont montrés incapables de toute initiative , de toute invention . En revanche , on les voyait habiles à copier les gestes et les attitudes des Espagnols , leurs supérieurs . Pour faire quelque chose , il leur suffisait de regarder un autre l’accomplir . Cette tendance à copier , qui s’accompagne d’ailleurs d’une réelle ingéniosité dans l’imitation , est le caractère même de l’esclave . Ame d’artisan , âme manuelle pour ainsi dire .
Mais on nous chante une vieille chanson ! s’écrie Las Casas . De tous temps les envahisseurs , pour se justifier de leur main mise , ont déclaré les peuples conquis indolents , dépourvus , mais très capables d’imiter ! César racontait la même chose des gaulois qu’il asservissait ! Ils montraient , disait – il , une étonnante habileté pour copier les techniques romaines ! Nous ne pouvons pas retenir ici cet argument ! César s’aveuglait volontairement sur la vie véritable des peuples de Gaule , sur leurs coutumes , leurs langages , leurs croyances et même leurs outils ! Il ne voulait pas , et par conséquent ne pouvait pas voir tout ce que cette vie offrait d’original . Et nous faisons de même : nous ne voyons que ce