Laclos les liaisons dangereuses
Lettre LXXXI : la marquise de Merteuil au vicomte de Valmont
Paru dans le contexte du siècle des Lumières, époque d’émancipation aussi bien intellectuelle que morale, Les Liaisons dangereuses, roman épistolaire, présente la correspondance fictive qu’entretiennent divers personnages d’une même intrigue, menée par la marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont. Ces deux libertins échangent sur leur manière de séduire leurs proies inexpérimentées ou vertueuses. Dans la lettre suivante, la marquise, piquée de ce que le comte a prétendu la conseiller sur le comportement à adopter avec un homme qu’elle convoite, lui fait savoir qui elle est au juste.
(…) Croyez-moi, Vicomte, on acquiert rarement les qualités dont on peut se passer. Combattant sans risque, vous devez agir sans précaution. Pour vous autres hommes, les défaites ne sont que des succès de moins. Dans cette partie si inégale, notre fortune l'est de ne pas perdre, et votre malheur de ne pas gagner. Quand je vous accorderais autant de talents. qu'à nous, de combien encore ne devrions-nous pas vous surpasser, par la nécessité où nous sommes d'en faire un continuel usage !
Supposons, j'y consens, que vous mettiez autant d'adresse à nous vaincre, que nous à nous défendre ou à céder, vous conviendrez au moins qu'elle vous devient inutile après le succès. Uniquement occupé de votre nouveau goût, vous vous y livrez sans crainte, sans réserve : ce n'est pas à vous que sa durée importe.
En effet, ces liens réciproquement donnés et reçus, pour parler le jargon de l'amour, vous seul pouvez, à votre choix, les resserrer ou les rompre : heureuses encore, si dans votre légèreté, préférant le mystère à l'éclat, vous vous contentez d'un abandon humiliant, et ne faites pas de l'idole de la veille la victime du lendemain.
Mais qu'une femme infortunée sente la première le poids de sa chaîne, quels risques n'a-t-elle pas à courir, si elle tente de s'y soustraire,