"Le bonheur " d'henri de régnier
Qui te frôle au passage et qui s’offre à ta main ;
La fleur est déjà morte à peine est-elle éclose,
Même lorsque sa chair révèle un sang divin.
N’arrête pas l’oiseau qui traverse l’espace ;
Ne dirige vers lui ni flèche ni filet
Et contente tes yeux de son ombre qui passe
Sans les lever au ciel où son aile volait.
N’écoute pas la voix qui te dit : “ Viens ”. N’écoute
Ni le cri du torrent, ni l’appel du ruisseau,
Préfère au diamant le caillou de la route ;
Hésite au carrefour et consulte l’écho.
Prends garde... Ne vêts pas ces couleurs éclatantes
Dont l’aspect fait grincer les dents de l’envieux ;
Le marbre du palais, moins que le lin des tentes,
Rend les réveils légers et les sommeils heureux.
Aussi bien que les pleurs le rire fait des rides,
Ne dis jamais : Encore, et dis plutôt : Assez...
Le Bonheur est un Dieu qui marche les mains vides
Et regarde la Vie avec des yeux baissés.
Henri de RÉGNIER (1864-1936) Vestigia Flammae
Commentaire rédigé Bien des poètes attristés par le temps qui passe conseillent au lecteur de profiter du présent. Ce n’est pas le cas d’Henri de Régnier, qui publia en 1920 Vestigia Flammae d’où est extrait “ Le Bonheur ”. En cinq quatrains, l’écrivain développe sa conception du bonheur grâce à des images empruntées à la nature. Comment caractériser son point de vue? Après avoir examiné la force persuasive d'un discours moral qui sait tirer parti de la forme poétique, nous nous intéresserons à l'évocation symbolique de la nature, afin d'étudier l'expression des valeurs qui fondent cette philosophie du bonheur. Le poème d’Henri de Régnier est didactique : l’écrivain prend la parole pour adresser directement au lecteur des conseils précis concernant sa conduite dans la vie quotidienne. Il adopte le ton d’un moraliste. Dès le vers I “ Si tu veux être heureux… ”, le poète apostrophe son destinataire. Le tutoiement est ambigu; il peut indiquer (comme chez les latins qui