Le droit de vieillir
« Au XIXe siècle, l'ethnologie pittoresque, un temps à la mode, prêtait à des tribus polynésiennes une étrange coutume : les vieux, disait-on, étaient éliminés lorsqu'ils n'avaient plus la force de grimper au cocotier. » (P. 9) Dès l'avant-propos, Bernadette Puijalon et Jacqueline Trincaz affichent clairement leur volonté de renverser la perspective en interrogeant aussi le rapport des sociétés occidentales au vieillissement.
Poser un si vaste débat imposait un retour préalable sur les notions. Et tout d'abord un questionnement sur la désignation de l'âge, entre le « vieillissement », appréhendé comme un processus naturel, et la « vieillesse », produit des représentations sociales propres à chaque société. D'une certaine manière, les auteurs rejoignent ici Bourdieu pour qui « la jeunesse n'est qu'un mot »1 et l'âge une donnée biologique socialement manipulable. Il ne s'agit pas pour autant de chercher obstinément les formes symptomatiques de la domination d'une classe sociale. L'analyse décompose subtilement et sans verbiage la complexité d'un contexte où les sociétés tentent de gérer et d'organiser des relations de pouvoir mais laissent aussi s'exprimer des formes diverses de rapports individuels et collectifs à la perte (physique ou mentale) et à la finitude.
Nous suivons alors le dédale des ciselages sémantiques souvent occupés à occulter la ride et les outrages du temps. « Troisième âge », « nouveaux retraités » ou « seniors » ont pudiquement effacé les « vieux » dont B. Puijalon, en 1991, avait si bien su nous dévoiler la face2. On regrette un peu, au passage, l'absence de référence aux travaux fondateurs de B. Neugarten, véritable pionnière dans la décomposition des catégories totalisantes et stéréotypées de l'âge3. Toutefois, sur le fond, les conclusions se rejoignent. Les segmentations ordinaires entre les différents degrés de vieillesse sont présentées. Elles poursuivent un découpage normatif pas toujours en phase avec le