Le ghetto français - eric maurin
Le problème de la ségrégation urbaine en France ne se limite pas à quelques centaines de quartiers dévastés par l’échec et la pauvreté. Ceux-ci ne sont que la conséquence la plus visible de tensions séparatistes qui traversent toute la société, à commencer par ses élites. À ce jeu, "ce ne sont pas seulement des ouvriers qui fuient des chômeurs immigrés, mais aussi les salariés les plus aisés qui fuient les classes moyennes supérieures, les classes moyennes supérieures qui évitent les professions intermédiaires, les professions intermédiaires qui refusent de se mélanger avec les employés, etc." Le phénomène est d’autant plus préoccupant que les fractures territoriales verrouillent l’avenir des individus et les assignent à des destins sociaux écrits d’avance. Tel est l’enseignement de cette enquête au cœur du « ghetto français », qui révèle une société marquée par la défiance et la recherche de l’entre-soi, et découvre en chacun de nous un complice plus ou moins actif de la ségrégation urbaine.
Le territoire s’est imposé ces dernières années comme le révélateur des nouvelles inégalités. Il leur a donné un langage pour ainsi dire physique : celui des quartiers et des « cités » où se matérialise brutalement ce que la statistique peine parfois à décrire. Un langage plus complet aussi, car la ségrégation urbaine articule et concentre presque toutes les formes d’inégalités (de revenus, de formation, de destins, etc.).
Pourtant, l’évidence peut être trompeuse. Le territoire exhibe certaines formes de ségrégation et en dissimule d’autres. Les « quartiers difficiles » sautent aux yeux, mais pas les stratégies de fuite ou