Le lys dans la vallée
Quelle vanité pouvais-je blesser, moi nouveau né ? quelle disgrâce physique ou morale me valait la froideur de ma mère ? Mis en nourrice à la campagne, oublié par ma famille pendant trois ans, quand je revins à la maison paternelle, j'y comptais pour si peu de chose que j'y subissais la compassion des gens. Loin d'adoucir mon sort, mon frère et mes deux sœurs s'amusèrent à me faire souffrir. Déjà déshérité de toute affection, je ne pouvais rien aimer, et la nature m'avait fait aimant ! La certitude de ces injustices excita prématurément dans mon âme la fierté, ce fruit de la raison, qui sans doute arrêta les mauvais penchants qu'une semblable éducation encourageait.
Les tourments d'une imagination sans cesse agitée de désirs réprimés, les ennuis d'une vie attristée par de constantes privations, m'avaient contraint à me jeter dans l'étude, comme les hommes lassés de leur sort se confinaient autrefois dans un cloître. Affecté par tant d'éléments morbides, à vingt ans passés, j'étais encore petit, maigre et pâle. Mon âme pleine de vouloirs se débattait avec un corps débile en apparence. Enfant par le corps et vieux par la pensée, j'avais tant lu, tant médité, que je connaissais métaphysiquement la vie dans ses hauteurs. Nul jeune homme ne fut, mieux que je ne l'étais, préparé à sentir, à aimer.
De grands événements se préparaient alors. Parti de Bordeaux pour rejoindre Louis XVIII à Paris, le duc d'Angoulême recevait, à son passage dans