Le mauvais goût
Philosophie, 21 mai 2012
C’est un seul et même mot, celui de « goût », qui désigne le sens par lequel nous percevons les saveurs et, par métaphore, notre faculté d’apprécier le beau.
Il apparaît néanmoins évident que parler de mauvais goût dans le premier et le second sens du terme n’a pas les mêmes implications. Du mauvais goût que l’on trouve à la fraise ou au café, il n’est rien de particulier à dire : c’est une appréciation entièrement subjective, fondée sur la seule sensation : chacun ressent différemment l’amertume, ou de la saveur du sucre, l’enjeu étant d’y trouver ou non du plaisir. En revanche, si je dis d’un salon que sa décoration est de mauvais goût, je n’évoque pas seulement mon déplaisir à me trouver au milieu d’un mobilier que j’estime atroce : je livre aussi une appréciation intellectuelle fondée sur des critères : l’élégance, le raffinement, par exemple, qui excèdent la distinction subjective entre agréable et désagréable, et que chacun partage a priori : hormis dans la bouche de quelques doctrinaires d’un genre bien particulier, on ne s’attend pas à entendre : « je n’aime pas ce qui est élégant », ou « j’ai la beauté en horreur ».
Pourtant, ainsi que l’observe David Hume dans De la norme du goût, les critères du jugement esthétique ont ceci de particulier que, s’ils font l’unanimité lorsqu’ils sont énoncés en général, ils tendent plutôt à diviser ceux qui entreprennent d’en établir le détail, de sorte que si l’on s’accorde spontanément à dire qu’il existe un bon et un mauvais goût en matière esthétique, personne ne s’entend sur ce qui les distingue. On n’est jamais, du reste, en manque de contre-exemples qui rendent caduques les tentatives d’établissement de critères formels du beau : ainsi, comme le fait observer Valéry dans Variétés, quelqu’un qui, du reste à juste titre, invoquerait la fortune de la règle classique des unités dans la conception de belles tragédies, doit s’attendre à ce qu’on lui réplique que