Les fourberies de scapin
SCAPIN, faisant semblant de ne pas voir Géronte: Ô Ciel! Ô disgrâce imprévue! Ô misérable père! Pauvre Géronte, que feras-tu?
GÉRONTE: Que dit-il là de moi, avec ce visage affligé?
SCAPIN: N'y a-t-il personne qui puisse me dire où est le seigneur Géronte?
GÉRONTE: Qu'y a-t-il, Scapin?
SCAPIN: Où pourrai-je le rencontrer, pour lui dire cette infortune?
GÉRONTE: Qu'est-ce que c'est donc?
SCAPIN: En vain je cours de tous côtés pour le pouvoir trouver.
GÉRONTE: Me voici.
SCAPIN: Il faut qu'il soit caché en quelque endroit qu'on ne puisse point deviner.
GÉRONTE: Holà! es-tu aveugle, que tu ne me vois pas?
SCAPIN: Ah! Monsieur, il n'y a pas moyen de vous rencontrer.
GÉRONTE: Il y a une heure que je suis devant toi. Qu'est-ce que c'est donc qu'il y a?
SCAPIN: Monsieur.
GÉRONTE: Quoi?
SCAPIN: Monsieur, votre fils.
GÉRONTE: Hé bien! mon fils.
SCAPIN: Est tombé dans une disgrâce la plus étrange du monde.
GÉRONTE: Et quelle?
SCAPIN: Je l'ai trouvé tantôt tout triste, de je ne sais quoi que vous lui avez dit, où vous m'avez mêlé assez mal à propos; et, cherchant à divertir cette tristesse, nous nous sommes allés promener sur le port. Là, entre autres plusieurs choses, nous avons arrêté nos yeux sur une galère turque assez bien équipée. Un jeune Turc de bonne mine nous a invités d'y entrer, et nous a présenté la main. Nous y avons passé; il nous a fait mille civilités, nous a donné la collation, où nous avons mangé des fruits les plus excellents qui se puissent voir, et bu du vin que nous avons trouvé le meilleur du monde.
GÉRONTE: Qu'y a-t-il de si affligeant en tout cela?
SCAPIN: Attendez, Monsieur, nous y voici. Pendant que nous mangions, il a fait mettre la galère en mer, et, se voyant éloigné du port, il m'a fait mettre dans un esquif, et m'envoie vous dire que si vous ne lui envoyez par moi tout à l'heure cinq cents écus, il va vous emmener votre fils en Alger.
GÉRONTE: Comment, diantre!