Des ciels gris de cristal. Un bizarre dessin de ponts, ceux-ci droits, ceux-là bombés, d'autres descendant ou obliquant en angles sur les premiers, et ces figures se renouvelant dans les autres circuits éclairés du canal, mais tous tellement longs et légers que les rives, chargées de dômes, s'abaissent et s'amoindrissent. Quelques-uns de ces ponts sont encore chargés de masures. D'autres soutiennent des mâts, des signaux, de frêles parapets. Des accords mineurs se croisent et filent, des cordes montent des berges. On distingue une veste rouge, peut-être d'autres costumes et des instruments de musique. Sont-ce des airs populaires, des bouts de concerts seigneuriaux, des restants d'hymnes publics ? L'eau est grise et bleue, large comme un bras de mer. - Un rayon blanc, tombant du haut du ciel, anéantit cette comédie.

Introduction :
Arthur Rimbaud (1854-1891) publie sont recueil de poèmes en prose Illuminations en 1886. C'est un nouveau genre dans la poésie. "Les Ponts" est un poème qui tire sa modernité d'une réalité connue du lecteur contemporain, la ville. Dès le début on a une vision d'ensemble, la grisaille d'un paysage urbain avec des reflets lumineux. On a l'impression qu'il nous raconte une histoire. Le style apparaît fantastique, climat assez proche du conte féerique. Il évoque la ville de manière picturale.

I- Un poème pictural
1. Le rapport poème/peinture
Termes relevant du registre pictural donnant au lecteur l'impression qu'il assiste à la description d'un tableau composé de figures géométriques ( lignes courbes, droites obliques).
Les verticales, les horizontales, les diagonales, les courbes se mêlent construisant une réalité qui combinent les points de vue ou les angles de vision comme le feront plus tard les cubistes.
En haut du tableau, "des ciels gris de cristal" et en bas, un paysage plus écrasé, aplati, "l'eau est grise et bleue, large comme un bras de mer".
Les figures intercalées prennent une allure fantastique comme dans un tableau