Les travailleurs de la mer
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Des travaux d’Hercule aux Dents de la mer, en passant par Moby Dick de Melville, les nombreux récits qui montrent l’homme aux prises avec l’animal témoignent de l’intérêt du public pour un combat inégal, où la bête se mesure à l’être doué de raison, la force à la ruse, l’instinct à l’intelligence. Dans Les Travailleurs de la mer, Victor Hugo raconte, lui aussi, le combat de son héros Gilliatt contre un adversaire étrange, qu’il ne voit pas, mais qui enroule autour de son bras droit, puis de son torse, des lanières munies de ventouses. Le romancier interrompt alors la narration pour consacrer un chapitre entier à l’animal qui met Gilliat en danger de mort, la pieuvre. Nous verrons, dans le fragment proposé ici, comment il part d’une peinture objective de la réalité pour aboutir à la vision fantastique d’un monstre en communiquant un sentiment d’épouvante à son lecteur.
Lecture
La pieuvre n'a pas de masse musculaire, pas de cri menaçant, pas de cuirasse, pas de corne, pas de dard, pas de pince, pas de queue prenante ou contondante, pas d'ailerons tranchants, pas d'ailerons onglés, pas d'épines, pas d'épée, pas de décharge électrique, pas de virus, pas de venin, pas de griffes, pas de bec, pas de dents. La pieuvre est de toutes les bêtes la plus formidablement armée. Qu'est-ce donc que la pieuvre ? C'est la ventouse. (...) Une forme grisâtre oscille dans l'eau ; c'est gros comme le bras et long d'une demi-aune (1) environ ; c'est un chiffon ; cette forme ressemble à un parapluie fermé qui n'aurait pas de manche. Cette loque avance vers vous peu à peu. Soudain, elle s'ouvre, huit rayons s'écartent brusquement autour d'une face qui a deux yeux ; ces rayons vivent ; il y a du flamboiement dans leur ondoiement ; c'est une sorte de roue ; déployée, elle a quatre ou cinq pieds (2) de diamètre. Épanouissement effroyable. Cela se jette sur vous. L'hydre (3) harponne l'homme. Cette