Lesdeuxpigeons
Non pas pour vous, cruel ! Au moins, que les travaux, Les dangers, les soinsdu voyage, Changent un peu votre courage.
Encor, si la saison s'avançait davantage !
Attendez les zéphyrs. Qui vous presse ? un corbeau
Tout à l'heure annonçait malheur à quelque oiseau.
Je ne songerai plus que rencontre funeste,
Que faucons, que réseaux. « Hélas, dirai-je, il pleut : « Mon frère a-t-il tout ce qu'il veut, « Bon soupé, bon gîte, et le reste ? » Ce discours ébranla le coeur De notre imprudent voyageur ;
Mais le désir de voir et l'humeur inquiète
L'emportèrent enfin. Il dit : « Ne pleurez point ;
Trois jours au plus rendront mon âme satisfaite ;
Je reviendrai dans peu conter de point en point Mes aventures à mon frère ;
Je le désennuierai. Quiconque ne voit guère
N'a guère à dire aussi. Mon voyage dépeint Vous sera d'un plaisir extrême.
Je dirai : « J'étais là ; telle chose m'avint ; » Vous y croirez être vous-même. »
A ces mots, en pleurant, ils se dirent adieu.
Le voyageur s'éloigne ; et voilà qu'un nuage
L'oblige de chercher retraite en quelque lieu.
Un seul arbre s'offrit, tel encor que l'orage
Maltraita le pigeon en dépit du feuillage.
L'air devenu serein, il part tout morfondu,
Sèche du mieux qu'il peut son corps chargé de pluie,
Dans un champ à l'écart voit du blé répandu,
Voit un pigeon auprès : cela lui donne envie ;
Il y vole, il est pris : ce blé couvrait d'un las Les menteurs et traîtres appas.
Le las était usé : si bien que, de son aile,
De ses pieds, de son bec, l'oiseau le rompt enfin :