Littérature féminine
VOIR / ÊTRE VU CHEZ MARGUERITE DURAS
Introduction L’œuvre de Marguerite Duras est marquée par le retour obsessionnel de thématiques dont l’origine est sans doute à chercher dans la structure psychique de leur auteur, laquelle, dans un entretien avec Madeleine Chapsal, reconnaît elle-même : « Je tourne en rond dans tous mes livres. » Parmi ces récurrences significatives, on relève l’insistance de la problématique du voir et de son corollaire (ou son symétrique) être vu. On ne peut qu’être frappé, à la lecture des œuvres au programme, par la répétition inlassable du verbe « voir » et de ses synonymes (« regarder », « suivre des yeux », « observer »…) Ces personnages qui n’agissent pas (ou si peu) se livrent intensément à l’activité de voir, qui est liée à des vécus affectifs d’une particulière intensité, au point qu’on peut considérer la vue comme le sens dominant, et les perceptions visuelles comme un élément majeur dans le vécu des personnages : expériences de joie intense mais aussi affects douloureux, avec souvent une grande ambivalence, un affect pouvant s’inverser en son contraire ou des affects antagonistes coexister. Voir, se voir, être vu, ne pas voir, autant de postures déterminées par des modalités spécifiques du désir - qui rencontrent autant d’interdits ou d’empêchements, lesquels freinent et tout à la fois stimulent le geste de transgression (à la manière de Lol, épiant, du champ de seigle, le couple Jacques Hold / Tatiana à travers le cadre de la fenêtre). Voir satisfait une pulsion d’emprise (dont le but est de dominer l’objet extérieur, de le maîtriser ), dans un espoir de capture qui passe par la répétition : il ne s’agit pas seulement de voir, mais de re-voir. Une compulsion de répétition anime en effet le désir de voir La scène du champ de seigle où Lol, cachée, observe Tatiana et Jacques Hold est reprise sur un mode lancinant : il s’agit de revivre