Monochrome
Qu'est-ce qu'un monochrome ?
Patrice Deramaix
face à l'abîme
Dès le 19e siècle, une plaisanterie récurrente circule, et bien avant l'émergence de l'abstraction, autour de la peinture " moderne " : le chef-d'œuvre consacré du salon du jour ne serait rien d'autre qu'un " monochrome ", absolu ironique et dérisoire d'un art dont la modernité situe en position de rupture radicale par rapport à la tradition classique. Nous discernons bien sûr un procédé classique de dénigrement de l'art moderne, disqualifié par la transgression qu'elle opérerait entre l'art et la facture industrielle : sans le respect des règles de composition classique et sans le rituel de la facture artisanale, la peinture ne vaudrait guère plus qu'un panneau peint ou, inversement, dans le cadre de légitimation propre à la modernité, même un monochrome peint au pistolet pourrait prétendre au statut d'œuvre d'art. Le caricaturiste ne pouvait cependant prévoir que quelques décennies plus tard, de tels tableaux trouveraient place dans les musées et dans les collections.
Le visiteur qui se trouve ainsi face à une oeuvre de Malevitch, de Klein ou de Wery... se trouve pour ainsi dire face à un abîme, ou plutôt sur une lisière incertaine entre le plastique et la physique, entre l'art et la technique, entre l'œuvre et le phénomène. En effet, ce que le monochrome donne à voir nie, par son caractère tautologique, tout ce que le concept d'art a pu traditionnellement contenir. Le monochrome ne peut être ni une imitation, ni une représentation, ni même une signification, de sorte que le recours à la sémiotique ne peut que très incomplètement élucider une telle démarche.
Essayons toutefois de décrypter le monochrome, en ayant soin d'écarter d'emblée les stratégies d'évitement et de dénigrement : cette démarche doit être prise à sérieux et ne peut se confondre avec l'artisanat, aussi soigné soit-il, du peintre industriel, quand bien même les mêmes procédés techniques s'y retrouveraient. En cause n'est