Non-philosophie
Sophie Lesueur
La philosophie occidentale se définit comme pensée du réel. Son effort prépondérant depuis 2500 ans a été de mettre celui-ci en système, c’est à dire de décrire la réalité observable par l’expérience dans un cadre à vocation définitive, qui serait valable de tous temps, universellement. Cette forme de pensée reflète la croyance absolue que l’homme par son esprit peut atteindre le réel ; en enchaînant ses pensées dans l’ordre convenable (dont la définition diffère selon les siècles), l’esprit pensera par idées adéquates, en complète conformité avec celui-ci. Au XVIIème siècle, avec l’avènement des grands systèmes dits métaphysiques[1], les philosophes pensent avoir atteint la vérité absolue : l’ordre qu’ils proposent pour enchaîner leurs idées leur paraît être l’ordre même du réel. Mais un système philosophique étant d’abord une invention, pour la philosophie le « véritable » réel, la réalité « authentique » est le discours qu’elle énonce sur cette réalité. Elle prend son discours sur le réel, les suppositions qu’elle fait sur lui pour la réalité et pour la vérité : c’est là sa prétention. Par ailleurs, la vocation de tout système philosophique consiste également à montrer que philosopher est un acte libre par lequel la raison pose la réalité et se donne ainsi à elle-même sa propre loi en vue de construire un monde meilleur. Les philosophies se distinguent ainsi les unes des autres, mais aussi se jaugent l’une l’autre, par la manière dont chacune détermine comme apparence ou illusion ce que les autres tiennent pour le réel. En cela, on peut dire que chaque philosophie consiste en une décision rationnelle vis à vis du réel-vérité. Ceci a aboutit au XIXème siècle au système de Hegel pour qui « le rationnel est réel et le réel est rationnel », ce qui signifie le règne absolu d’une Raison omnipotente et omnisciente.
Prétention et décision sont ainsi les deux caractères majeurs de la philosophie. Le