Nouvelle
MOHAMMED BENJELLOUN
I
J’ETAITS SON CAMARADE DE CLASSE QUAND IL S’ETAIT MIS A PORTER CE NOM miraculeux de L’Mjidib, mon protégé Rachid. A vrai dire, il faisait plus que porter ce nom : il l’arborait, l’exhibait en toutes circonstances comme ferait un numismate pressé de faire admirer un timbre rare de sa collection. Et quand on voulait en savoir plus sur cette identité mitigée, ce maudit patronyme s’interposait entre nous et la vérité vraie des faits. C’était court comme explication, mais ça en disait long sur le personnage. L’Mjidib jouait sa partition d’illuminé en vrai virtuose. J’étais donc le camarade de classe de ce L’Mjidib qui, à son corps défendant, était à la fois mon protégé et mon souffre-douleur préféré. Il faut dire qu’à notre âge, huit ou neuf ans, sado-machin, on connaissait pas. Pas théoriquement, je veux dire. Ce qu’on trouve dans les livres. Sado-machin, on le pratiquait au jour le jour. Les mauvaises langues disaient déjà à l’époque que mon poulain sollicitait mes services par crainte de voir traînée dans la boue ma réputation de sympathique donneur de coups de manivelle. Ce que ces mauvaises langues ne savaient pas dire, c’est qu’il y avait un contrat moral qui nous liait l’un à l’autre : ma protection en échange de sa persécution. En clair et en crypté, la protection dont j’étais l’auteur diminuait ou augmentait selon la quantité de souffrance-en-douleur engagée par mon camarade au patronyme emblé-problématique. Et vice versa. Ce qui revenait au même et disait pareillement la même chose. Mais le contrat le mentionnait noir sur blanc quand même. On ne savait jamais. Par ailleurs, lorsque je dis « à son corps défendant », c’est par pure courtoisie. L’Mjidib en avait bien un, de corps, mais ignorait qu’on pouvait l’utiliser pour se défendre, en donnant des coups notamment. C’était donc un corps, un corps tout court, tellement court que mon camarade en avait honte, en était fort embarrassé et ne savait jamais où le