Parole
Dans Les Travaux et les jours (vers 256-262), Hésiode écrit : « Il est une fille, elle a nom Justice, elle est née de Zeus, respectée, vénérée parmi les Dieux, qui ont leur résidence dans l’Olympe. Et quand quelqu’un fait du tort, l’insulte perversement, elle va s’asseoir près de Zeus, son père, elle fait voir la pensée injuste des hommes, pour que le peuple paie la folie de ses rois qui, l’esprit plein d’idées sombres, courbent la justice à l’envers grâce à des formules tordues [n.s.] ». Cette expression saisissante rappelle la périlleuse ambivalence travaillant l’ordre civil et politique : l’espace séparant la loi juridique - comme incarnation de principes de justice destinés à substituer au déchaînement anomique de la violence subjective et à l’empire de la crainte issu du heurt des désirs égoïstes une communauté fondée sur un système d’obligations rationnelles garantissant des relations de paix et de réciprocité entre ses membres - et les hommes investis du pouvoir d’en déterminer le contenu et de veiller à son application, laisse ouverte la possibilité que les seconds mettent en péril la première en la transformant en auxiliaire d’un pouvoir impitoyable et avide d’illimitation. Ainsi l’immortelle leçon de la tragédie grecque, comme mise en scène de la dissension entre la Cité, domaine de l’être-ensemble appuyé sur le droit institutionnel des hommes libres obéissant à une même juridiction et les puissances qui menacent d’en distendre les liens jusqu’à leur entière déliaison, aura consisté à distinguer la figure politique du roi (basileus), respectant des règles éthiques transcendantes dont il se veut le mandataire, de celle du tyran (turannos), qui gouverne selon la seule loi de son désir démesuré (hubris). Simplement, l’exécrable déviation de l’autorité légitime, la revendication égocentrée d’un pouvoir exorbitant et soustrait à tout partage n’y apparaissent pas exclusivement marquées par la