Peut-on rire de tout
A la question : « Peut-on rire de tout ? », l’humoristique français Pierre Desproges répondait, de façon presque définitive : « On peut rire de tout, oui, mais pas avec n’importe qui. » La question, qui fleure bon la dissertation de philosophie, est régulièrement posée dans le débat public français, et les histoires les « moins drôles » provoquent parfois des problèmes judiciaires.
Si la législation française est plutôt tolérante vis-à-vis de l’humour, qui jouit comme toute forme artistique de la primauté donnée à la « liberté d’expression » dans la Constitution, encore faut-il pouvoir justifier qu’il s’agit bien toujours de cela lorsque l’on s’aventure sur un terrain frontière, au risque d’être accusé d’« injure » ou de « diffamation ».
« On peut rire de tout, oui, mais à condition d’être drôle », pourrait-on dire. L’enjeu est là, et il est de taille. Car, à l’heure des tensions identitaires, de la judiciarisation de la société et du triomphe du « politiquement correct » - qui a notamment le mérite de sensibiliser l’opinion au problème des discriminations -, l’humour, comme toute autre forme d’expression, est soumis à de fortes pressions.
Rire, est-ce forcément se moquer, mettre à l’index ou stigmatiser ? Le comique ne peut-il fonctionner qu’au détriment d’un autre sur le modèle du fameux gag de la « tarte à la crème » ? Juridiquement, la frontière du « drôle » et du « pas drôle » est très difficile à fixer, c’est une certitude. Ce qui fait rire les uns peut laisser froids les autres, voire les offusquer. Comme la tragédie classique, le comique doit savoir respecter des unités, de temps et de lieu : « On peut rire de tout, mais pas n’importe où et pas n’importe quand », pourrait-on suggérer. Mais, outre l’importance du lieu et du climat - de tension - dans lesquels les blagues sont faites, c’est avant tout la subtilité du comique et son aura qui font la différence, qui légitime l’humour, même le plus culotté.
Quand Desproges