Racine et corneille
LE PARALLÈLE Corneille Racine, dites-vous? D'un côté les hardiesses, la pompe, le sublime, de l'autre l'incertitude, les larmes, la tendresse. Chez l'un la grandiloquence baroque, chez l'autre le cristal classique. Les hommes tels qu'ils devraient être face aux hommes tels qu'ils sont. Ici Polyeucte, là Phèdre. Quelques souvenirs de collège et des enchantements ultérieurs permettent à chacun d'avoir son point de vue dans l'affaire. Cornélien ou racinien, il faut choisir. En France, cette sempiternelle querelle est un lieu de mémoire. Dire sa faveur, c'est dire où est son cœur, confesser sa manière d'être français. La querelle court depuis 1664 et la première de La Thébaïde, qui révéla le jeune Racine. Six ans plus tard, le duel eut lieu en champ clos, avec la représentation à sept jours de distance d'une Bérénice signée Racine à l'hôtel de Bourgogne et d'un Tite et Bérénice signé Corneille au Palais-Royal. D'un côté une tragédie sans mort, sans action, sans autre pouvoir que celui des mots, de l'autre une pièce pleine de beaux gestes et de déchirements politiques. Bérénice eut la faveur du public. On célébra Racine comme un génie, on jura que Corneille était fini. Mais, lors de la présentation de Bajazet en 1672, l'auteur d'Horace avait toujours des partisans, ainsi Mme de Sévigné s'exclamant «Vive donc notre vieil ami Corneille!» pour dire sa déception à Mme de Grignan: «Le dénouement n'est point bien préparé: on n'entre point dans les raisons de cette grande tuerie. Il y a pourtant des choses agréables, et rien de parfaitement beau, rien qui enlève, point de ces tirades de Corneille qui font frissonner. Ma fille, gardons-nous bien de lui comparer Racine, sentons-en la différence.» Cette confrontation que s'interdit la marquise devint pourtant une mode. En 1685, Bayle célèbre Suréna et Le Cid comme les chefs-d'œuvre d'un auteur qui refusa toujours de sacrifier au goût du temps, ne voulant point «sortir de sa noblesse