Rainer maria rilke et la porte de l'enfer d'auguste rodin
« Des mains qui marchent, des mains qui dorment et des mains qui s'éveillent; des mains criminelles, des mains à l'hérédité chargée, et d'autres qui sont fatiguées, qui ne veulent plus rien, qui se sont couchées dans un coin comme des bêtes malades qui savent que personne ne peut les secourir (…) Une main qui se pose sur l'épaule ou la cuisse d'autrui ne fait déjà plus tout à fait partie du corps dont elle est venue; avec l'objet qu'elle effleure ou empoigne, elle forme une nouvelle chose, une de plus, qui n'a de nom et n'appartient à personne; et c'est de cette chose, avec ses frontières bien déterminées qu'il s'agit dorénavant. Cette découverte est le fondement du groupement des personnages chez Rodin; c'est d'elle que résulte la façon inouïe dont les figures sont liées les unes aux autres, la cohésion des formes et leur manière de ne pas se lâcher, à aucun prix. (…) Il commence aux endroits où le contact est le plus fort, qui sont autant de sommets de l'oeuvre; il attaque à l'endroit où naît quelque chose de nouveau, et tout le savoir de son instrument, il le consacre aux mystérieuses manifestations qui accompagnent le devenir d'une chose nouvelle. (…) Le charme du grand groupe, homme et jeune, intitulé Le Baiser, réside dans la répartition sage et équitable de la vie; on a le sentiment que, des surfaces en contact, des ondes partent là dans le corps tout entiers, des frissons de beauté, de pressentiment et d'énergie. (…) Progressant dans sa recherche à la fois sur le mouvement des surfaces et sur leur union, Rodin en est venu à chercher des corps qui se touchent en de nombreux endroits (…) Plus nombreux étaient les points de contact que s'offraient mutuellement deux corps, plus grande l'impatience avec laquelle ils se précipitaient l'un vers l'autre, et plus le nouveau tout qu'il formaient tenait solidement et organiquement. »
Rainer Maria Rilke, « Auguste Rodin, première partie, 1902 ».
Rilke