Roman de desenchantement
Classe de première
Prof :Mme DIOP
«Et les malheurs annoncés devaient arriver »
Il demeurait bien connu que les dirigeants des soleils des indépendances consultaient très souvent le marabout, le sorcier, le divin ; mais pour qui le faisaient-ils et pourquoi ? Fama pouvait répondre, il le savait :ce n’était jamais pour la communauté,jamais pour le pays, ils consultaient toujours les sorciers pour eux-mêmes,pour affirmer leur pouvoir, augmenter leur force, jeter un mauvais sort à leur ennemi. Et les malheurs annoncés devaient arriver.
Des slogans antigouvernementaux apparurent sur les murs de la capitale. Des ordres de grève circulaient Une nuit, une bombe éclata. Des incendies s’allumèrent dans des poudrières environnantes. Avec ou sans sacrifice,avec ou sans hyène, le régime entreprit de conjurer le sort. Le président et le parti unique réprimèrent. Deux ministres, deux députés et trois conseillés furent ceinturés en pleine rue, conduits à l’aérodrome, jetés dans des avions et expulsés. Un conseil de ministres extraordinaire fut convoqué,délibéra tout l’après-midi et se termina par un grand festin à l’issue duquel quatre ministres furent appréhendés sur le perron du palais, ceinturés,menottés,et conduits en prison.
Tout cela constituait des cris d’alarme que Fama aurait dû entendre ; il aurait dû retirer ses mains et pieds de la politique pour s’occuper des palabres de ses femmes. La politique n’a ni yeux,ni oreilles,ni cœur ;en politique le vrai et le mensonge portent le même pagne,le juste et l’injuste marchent de pair, le bien et le mal s’achètent ou se vendent au même prix. Fama continua pourtant à marcher de palabre en palabre, à courir saluer, la nuit,tel député,tel ministre,tel conseiller. Ahmadou Kourouma,Les Soleils des indépendances,Edition