Don César. Sur ma foi, Je ne me trompais pas. C'est toi, Ruy Blas ! Ruy Blas. C'est toi, Zafari ! Que fais-tu dans ce palais ? Don César. J'y passe. Mais je m'en vais. Je suis oiseau, j'aime l'espace. Mais toi ? Cette livrée ? Est-ce un déguisement ? Ruy Blas, avec amertume. Non, je suis déguisé quand je suis autrement. Don César. Que dis-tu ? Ruy Blas. Donne-moi ta main que je la serre, Comme en cet heureux temps de joie et de misère Où je vivais sans gîte, où le jour j'avais faim, Où j'avais froid la nuit, où j'étais libre enfin ! – Quand tu me connaissais, j'étais un homme encore. Tous deux nés dans le peuple, – Hélas ! C'était l'aurore ! – Nous nous ressemblions au point qu'on nous prenait Pour frères ; nous chantions dès l'heure où l'aube naît, Et le soir devant Dieu, notre père et notre hôte, Sous le ciel étoilé nous dormions côte à côte. Oui, nous partagions tout. Puis enfin arriva L'heure triste où chacun de son côté s'en va. Je te retrouve, après quatre ans, toujours le même, Joyeux comme un enfant, libre comme un bohème, Toujours ce Zafari, riche en sa pauvreté, Qui n'a rien eu jamais et n'a rien souhaité ! Mais moi, quel changement ! Frère, que te dirai-je ? Orphelin, par pitié nourri dans un collège De science et d'orgueil, de moi, triste faveur ! Au lieu d'un ouvrier on a fait un rêveur. Tu sais, tu m'as connu. Je jetais mes pensées Et mes voeux vers le ciel en strophes insensées. J'opposais cent raisons à ton rire moqueur. J'avais je ne sais quelle ambition au coeur. À quoi bon travailler ? Vers un but invisible Je marchais, je croyais tout réel, tout possible, J'espérais tout du sort ! – et puis je suis de ceux Qui passent tout un jour, pensifs et paresseux, Devant quelque palais regorgeant de richesses, À regarder entrer et sortir des duchesses.