Réflexions sur la question juive
(1946)
Essai
Sartre affirme que le Juif est créé par l'antisémitisme car «si le Juif n'existait pas, l’antisémite l'inventerait». Ne croyant pas à la spécificité du Juif en général, il examine surtout la question juive en France. Ce qui constitue la singularité juive est d'abord la décision de la collectivité de considérer les Juifs comme différents, de les tenir à l'écart. C'est pourquoi il entreprend d'abord de décrire l'antisémite. Pour lui, l'antisémitisme n'est pas une opinion, mais une passion qui implique «un choix libre et total de soi-même, une attitude globale.» L'antisémite se veut imperméable aux arguments rationnels. Terrible, il est en même temps moutonnier et vaniteux. Il reconnaît aux Juifs certaines qualités intellectuelles, mais il méprise l'intelligence. Le Juif est capable d'acquérir ce qu'on peut obtenir par le travail et l'argent, mais n'a pas de valeur propre. Seul ce qui relève de la tradition, dont le Juif est exclu, est valorisé. L'antisémite est irrationaliste. Mais il a besoin de l'existence du Juif pour fonder sa supériorité. Il est manichéen et pour lui le Juif incarne le Mal. Il y a une ambivalence chez l'antisémite qui éprouve une véritable fascination pour le Juif qu'il déteste, comme en témoignent les histoires qu'il aime à raconter sur l'avidité ou l'obscénité des Juifs. Dans sa haine du Juif, il assouvit ses penchants sadiques et trouve un prétexte pour se sentir fort. Le démocrate, au contraire, nie l'existence du Juif en refusant de lui reconnaître une quelconque singularité, et il craint que ne s éveille. chez lui une conscience juive. Tandis que l'antisémite reproche au Juif d'être juif, le démocrate lui reproche de se considérer comme juif. Sartre refuse ces deux positions et veut envisager les Juifs dans la singularité de leur situation concrète. Le Juif n'a pas une nature, mais une condition. Qu'est-ce que le Juif français, celui qui intéressait directement Sartre et ses lecteurs?