second traité de John Locke
Analyse de Pierre Manent
Hobbes s'est trouvé confronté à une difficulté centrale : peut-on définir et construire un pouvoir humain de manière à le rendre, de droit et de fait, invulnérable à toute objection, à toute critique ? Or ce qui fonde le point de départ de son raisonnement reste le fondement de son point d'arrivée : la peur de la mort. Ultimement les sujets se conduisent pacifiquement parce qu'ils craignent le souverain. Pourquoi les nécessités de la conservation de l'individu imposent-elles qu'on lui reconnaisse un droit sur toutes choses ? Parce qu'il est sans cesse menacé, réellement ou potentiellement, par tous les autres individus, parce que la relation qui le lie à tous les autres individus est l'hostilité. C'est parce que l'hostilité est universelle que la conservation de soi est le seul principe de toutes les actions de chacun.
Mais les individus de l'état de nature ne sont pas vraiment des individus titulaires de droits à eux intrinsèquement attachés, et le pouvoir ainsi construit n'est pas vraiment protecteur de leurs droits puisqu'il ne peut les protéger que parce qu'il peut les menacer. Le libéralisme interprétera l'individu de l'état de nature de manière à pouvoir lui attacher des droits intrinsèques, et on concevra le pouvoir de façon à ce qu'il puisse seulement protéger les droits individuels, non les attaquer. Telle sera la démarche de Locke.
Alors que pour Hobbes la mort est menaçante sous les espèces de l'autre homme hostile, pour Locke, la mort est menaçante sous les espèces de la faim. Car Hobbes est remarquablement discret sur la place et le rôle de la faim dans l'état de nature, même s'il note comme allant de soi que les hommes y sont "pauvres". A partir du moment où la crainte engendre la crainte, où la guerre se nourrit d'elle-même, la question des "origines" de la guerre semble secondaire. Elle a pourtant selon Hobbes deux origines : la rivalité pour la possession des biens