Terrence malick - foulure du regard
"Je me suis laissé dire que vous demandiez une clé capable d'ouvrir cette énigme, le Nouveau Monde" (Walt Whitman)
Par Jean-Michel Durafour
École normale supérieure Lettres et Sciences humaines, Lyon (France)
Les observateurs les plus divers ont souvent remarqué l'influence du transcendantalisme de Thoreau et Emerson dans le cinéma de Terrence Malick. Celle-ci serait particulièrement sensible dans la manière qu'a le réalisateur de regarder la nature comme destination spirituelle de l'homme, et l'union de l'homme avec la nature comme « tout parfait »(1). En un sens, Malick ne fait pas là preuve de beaucoup d'originalité et poursuit, en particulier dans The New World , la démarche qui avait déjà été celle du paléo-western, ou en l'occurrence faudrait-il dire du paléo-eastern ; ce que Howard Hawks appelait, pour sa part, le premier genre de westerns : celui de l'appropriation d'un territoire ; là où le second genre s'attache à sa conservation et à son organisation (la substitution de la loi à la force anarchique). Le pionnier est le champion de l'un ; le shérif, celui de l'autre.
L'antagonisme, si manifeste depuis Badlands , entre la nature, imperturbable, immuable (voir la contre-plongée qui clôt The New World ou les perroquets multicolores pendant l'avancée des soldats dans The Thin Red Line ), et, d'autre part, la technique moderne - entre les champs et la fonderie (Days of Heaven), la jungle et les combats (The Thin Red Line), la simplicité adamique et la civilisation raffinée (The New World)(2)-, est au fondement de ce geste cinématographique. L'occupation des hommes qui s'en détournent, voire violentent le monde, n'entame en rien la splendeur de l'univers. Et Malick semble souvent aimer à livrer son film à la nature ; à se défaire, de-ci de-là, des repères humains qui structurent d'ordinaire la narration anthropomorphique - abandon soudain de l'alternance