Travail et technique
LE PHILOSOPHE ET LA POULE DE KIRCHER
SOMMAIRE
------------------------------------------------------------------------
II Nelson Goodman à rebours
L’art et la philosophie sécularisés
Les choses sont en rapport les unes avec les autres de bien des manières; mais il n'en est pas une qui les renferme toutes ou les domine toutes.
William James, The Will to Believe
Bien qu'elle n'appartienne pas, stricto sensu, à l'un des courants qui ont dominé la scène philosophique américaine au cours des dernières décennies, l'œuvre de Nelson Goodman en épouse, de manière originale, l'évolution et les épisodes significatifs. Après avoir contribué, à l'instar de philosophes comme Quine ou Sellars, à placer sous une nouvelle lumière l'empirisme et l'épistémologie positiviste, Goodman s'est tourné vers des questions dont l'art constitue le pôle majeur1. Que ses travaux, dès lors, aient considérablement renouvelé le champ des questions esthétiques, c'est l'évidence; peut-être s'en rend-on même mieux compte aujourd'hui2. Ceux qui en ont initialement saisi la portée y ont trouvé la possibilité d'aborder au moyen d'instruments neufs les phénomènes esthétiques et de reconsidérer les attendus d'une tradition que l'art lui-même avait amplement commencé à miner. Le mouvement qui a conduit Goodman à renouveler notre approche et notre connaissance de l'art, de façon si singulière, puisqu'elle n'est même pas exactement celle de l'«esthétique analytique»3, n'est pas sans nouer une relation souterraine avec les épisodes significatifs de l'art du vingtième siècle. Si toutefois la pensée de Goodman laisse aisément supposer un rapport étroit, pour ne pas dire familier, avec les œuvres d'art, elle n'en constitue pas moins le prolongement d'une entreprise intellectuelle qui commence avec ses premiers travaux. Autrement dit, l'intérêt de Goodman pour l'art ne marque pas une discontinuité entre un «premier» Goodman et celui que nous