Monde - Samedi3 janvier 2004

Un pays où l'électricité est un produit de luxe
Par Serge Enderlin, envoyé spécial à Tbilissi

Depuis l'indépendance de 1991, la république caucasienne a vécu une descente aux enfers sans équivalent, faite de pénuries, de corruption et de séparatisme.
Liana Jervalidze, la quarantaine marquée par une décennie maussade, est une Géorgienne pressée. Elle revient tout juste de Londres, où son expertise sur les «questions énergétiques du bassin de la Caspienne» a été très appréciée lors d'une conférence pétrolière internationale. Car Liana Jervalidze sait tout de l'or noir de la Caspienne, ce précieux liquide qu'un grand pipeline exportera bientôt en Occident, en traversant tout le sud du Caucase, passant sous le nez des Géorgiens. Elle maîtrise l'arithmétique des barils, science exacte, mais regrette que, dans son pays, l'approvisionnement en électricité réponde davantage à la loi du hasard qu'à celle de l'offre et de la demande. Car voilà, depuis l'indépendance, la faillite géorgienne pourrait presque se résumer à la triste fable qui va suivre. Quand Liana Jervalidze rentre chez elle dans son quartier de Saburtalo, elle doit à chaque fois glisser une pièce de dix centimes de laris dans une petite boîte située sous les boutons de l'ascenseur. Sinon, il refuse de monter au 13e étage, où elle habite. «Chaque locataire possède son logement, dit-elle, mais personne n'est responsable des parties communes. Comme les factures de l'ascenseur n'étaient jamais payées, il s'arrêtait de plus en plus souvent. Etre bloqué dix minutes ce n'est pas grave, mais douze heures, ça peut être long.» Désormais, on paie pour emprunter l'ascenseur. Mais cela ne résout pas tout. «Car l'engin ne fonctionne de toute manière qu'avec de l'électricité, et il n'y en a pas tous les jours», raconte Liana. Le cruel destin de cet ascenseur (conçu à Minsk en 1972, dit l'écriteau du fabricant) d'un immeuble de la rue Kavteradze est le symbole de l'effondrement total de ce