Les Utopiens ont la guerre en abomination, comme une chose brutalement animale, et que l'homme néanmoins commet plus fréquemment qu'aucune espèce de bête féroce. Contrairement aux mœurs de presque toutes les nations, rien de si honteux, en Utopie, que de chercher la gloire sur les champs de bataille. Ce n'est pas à dire pour cela qu'ils ne s'exercent avec beaucoup d'assiduité à la discipline militaire ; les femmes elles-mêmes y sont obligées, aussi bien que les hommes ; certains jours sont fixés pour les exercices, afin que personne ne se trouve inhabile au combat quand le moment de combattre est venu. Mais les Utopiens ne font jamais la guerre sans de graves motifs. Ils ne l'entreprennent que pour défendre leurs frontières, ou pour repousser une invasion ennemie sur les terres de leurs alliés, ou pour délivrer de la servitude et du joug d'un tyran un peuple opprimé par le despotisme. En cela, ils ne consultent pas leurs intérêts, ils ne voient que le bien de l'humanité. La république d'Utopie porte gratuitement secours à ses amis, non seulement dans le cas d'une agression armée, mais quelquefois encore pour obtenir vengeance et réparation d'une injure. Cependant, elle n'agit ainsi que lorsqu'elle a été consultée, avant la déclaration de guerre ; alors, elle examine sérieusement la justice de la cause, et si le peuple qui a commis le dommage ne veut pas le réparer, il est déclaré seul auteur et seul responsable de tous les maux de la guerre. Les Utopiens prennent cette décision extrême toutes les fois qu'un pillage a été exercé par invasion armée. Mais leur colère n'est jamais plus terrible que lorsque les négociants d'une nation amie, sous prétexte de quelques lois iniques, ou d'après une interprétation perfide des lois bonnes, ont subi à l'étranger des vexations injustes au nom de la justice. [...] En faisant la guerre, les Utopiens n'ont d'autre objet que d'obtenir ce qui les aurait empêchés de la déclarer, si leurs réclamations avaient été satisfaites avant la