L'ile des esclaves marivaux
Deux aristocrates athéniens, Iphicrate et Euphrosine, échappent à un naufrage en compagnie de leurs serviteurs, Arlequin et Cléanthis. L’île sur laquelle ils échouent a la particularité d’être gouvernée par d’anciens esclaves qui contraignent maîtres et domestiques à échanger leurs places. Les nouveaux maîtres ne se privent pas de se venger de leurs années de servitude en infligeant à leurs esclaves les vexations qu’ils ont jadis subies. Mais en même temps qu’ils découvrent l’ivresse du pouvoir, Arlequin et Cléanthis font l’apprentissage de la générosité. Ils finissent par avoir pitié de leurs anciens maîtres et insistent pour que chacun retrouve sa place. Satisfait du progrès moral accompli par les naufragés, Trivelin, « le meneur de jeu », laisse repartir vers Athènes les deux couples réconciliés, en espérant que les maîtres sauront se souvenir de ce salutaire séjour dans « l’île des esclaves ».
I - UNE « BERGERIE RÉVOLUTIONNAIRE »
L’Île des Esclaves occupe une place à part dans l’oeuvre de Marivaux. À son propos, Sainte-Beuve, le célèbre critique du xixe siècle, écrit: « Ce sont les saturnales de l’âge d’or. Cette petite pièce de Marivaux est presque à l’avance une bergerie révolutionnaire de 1792 ». L’allusion aux fêtes romaines des « saturnales » durant lesquelles les esclaves, provisoirement affranchis, avaient le droit de donner des ordres à leurs maîtres, rend parfaitement compte de l’argument de cette comédie. Mais l’inversion du rapport de force maître/valet n’y sert pas seulement de prétexte à défoulement. C’est aussi un moyen de montrer les iniquités d’un ordre social fondé sur le seul hasard de la naissance. Cette dénonciation trouve dans la fiction exotique de l’île lointaine un subterfuge commode pour déjouer la censure.
Le voyage imaginaire autorise une réflexion politique et morale qui apparaîtrait à juste titre comme dangereusement subversive si elle s’ancrait dans la réalité immédiate. La vérité ne peut se manifester que