L'incipit d'aurélien, d'aragon
Texte étudié :
La première fois qu'Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. Elle lui déplut, enfin. Il n'aima pas comment elle était habillée. Une étoffe qu'il n'aurait pas choisie. Il avait des idées sur les étoffes. Une étoffe qu'il avait vue sur plusieurs femmes. Cela lui fit mal augurer de celle-ci qui portait un nom de princesse d'Orient sans avoir l'air de se considérer dans l'obligation d'avoir du goût. Ses cheveux étaient ternes ce jour-là, mal tenus. Les cheveux coupés, ça demande des soins constants. Aurélien n'aurait pas pu dire si elle était blonde ou brune. Il l'avait mal regardée. Il lui en demeurait une impression vague, générale, d'ennui et d'irritation. Il se demanda même pourquoi. C'était disproportionné. Plutôt petite, pâle, je crois… Qu'elle se fût appelée Jeanne ou Marie, il n'y aurait pas repensé, après coup. Mais Bérénice. Drôle de superstition. Voilà bien ce qui l'irritait.
Il y avait un vers de Racine que ça lui remettait dans la tête, un vers qui l'avait hanté pendant la guerre, dans les tranchées, et plus tard démobilisé. Un vers qu'il ne trouvait même pas un beau vers, ou enfin dont la beauté lui semblait douteuse, inexplicable, mais qui l'avait obsédé, qui l'obsédait encore :
Je demeurai longtemps errant dans Césarée…
Commentaire :
Aurélien est l’avant-dernier roman du « Cycle du Monde réel », écrit en 1944, et réécrit en 1966. Aragon dit à propos de ce roman que « l’impossibilité du couple est le sujet même d’Aurélien ». On s’attend à une narration réaliste en raison du titre « Cycle du Monde réel », et de fait l’incipit est plus ou moins traditionnel. Nous attendons également une intrigue amoureuse. Mais il y a une complexité de la relation entre narrateur et personnage : à travers ce récit de pensée, on peut voir une crise du héros, une crise du réalisme-socialisme. Il y a cependant une mise en ordre rigoureuse du monde réel selon le modèle balzacien. Le