L orateur intime
Revenons au sujet abordé au cours de la dernière séance : la lettre d’Ymbert Galloix et la réaction de Hugo. Retenons ce passage déjà cité :
« C’est un homme qui souffre et qui le dit à un autre homme. Voilà tout. Remarquez ceci, à un autre homme, pas à vingt, pas à dix, pas à deux, car, au lieu d’un ami, s’il avait deux auditeurs seulement, ce poète, ce qu’il fait là, ce serait une élégie, ce serait un chapitre, ce ne serait plus une lettre. Adieu la nature, l’abandon, le laisser-aller, la réalité, la vérité ; la prétention viendrait. Il se draperait avec son haillon. Pour écrire une lettre pareille, aussi négligée, aussi poignante, aussi belle, sans être malheureux comme l’était Ymbert Galloix, par le seul effort de la création littéraire, il faudrait du génie. Ymbert Galloix qui souffre vaut Byron. Toutes les qualités pénétrantes, métaphysiques, intimes, ce style les a ... »[1]
Ce qui nous intéresse ici, c’est le paradoxe que sous-entend Hugo en attribuant le génie à celui qui arriverait à faire passer sa création littéraire aux yeux du destinataire qu’est le lecteur comme un message intime provenant de son expérience personnelle et comme un discours adressé exclusivement à chaque lecteur. Cet « effort de la création littéraire », comme l’appelle Hugo, quel est-il ? Il s’agit peut-être de laisser apparaître le sujet de l’écriture comme un sujet mourant, exactement comme Galloix est une personne mourante laissant du même coup parler un sujet à l’agonie. Comme le disent et le répètent Guy Rosa, Ludmilla Wurtz et Henri Meschonnic, la subjectivité poétique est impersonnelle. Quittant son corps, le sujet de l’écriture perd sa personne et gagne l’âme de tous. C’est cette réflexion qui est aux fondements de mon travail. La poésie lyrique de Hugo avant l’exil gagne à être vue, à mon sens, sous l’angle du paradoxe : le lyrisme intime est le lieu de la parole publique et vice versa.
Le paradoxe du poète.
Si l’on