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Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens.
Dérégler les sens, c'est dérégler sa vision du monde, et par là, sa logique, ses évidences, ses idéologies, etc., pour en faire jaillir l'étrangeté, la part d'inconnu, l'Autre, l'Orient. Nerval disait déjà, après ses voyages, que l'Orient était finalement au seuil même de sa porte. Là où il y a rupture avec la figure romantique du poète, c'est que Rimbaud, en agissant sur les sens, ne se pose plus comme un révélateur (révélateur de correspondances, par exemple) mais comme un inventeur : il dit, quelque part, que "les inventions d'Inconnus réclament des formes nouvelles".
Trouver une langue
Une langue véhicule une vision pré-faite du monde, elle ne saurait donc convenir au poète, du moins pas en tant que "code commun". A l'époque de Rimbaud, la langue française continue d'être l'objet d'une fierté nationale, on n'a pas oublié le XVIIIe siècle où l'on disait qu'elle était construite sur le modèle de la pensée même. La poésie de Rimbaud, d'un certain point de vue, blesse cette vision de la langue : on trouve des phrases qui ne respectent pas la triade sujet-complément-verbe, une ponctuation pas toujours logique, etc. Trouver une langue, c'est aussi perdre une langue pour mettre à jour, encore une fois, sa part d'altérité. il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, - et le suprême Savant ! […] Donc le poète est vraiment voleur de feu.
Dans le livre III de la République, Platon chasse le poète de la cité, parce que ses chants risque de détourner les citoyens de la bonne manière de penser. De la même manière, Prométhée est condamné parce qu'il a donné le feu aux hommes. Si le poète est maudit par la société à laquelle il veut parler, c'est parce qu'il touche au système de valeurs et d'idées dont elle a besoin pour tenir en place, parce qu'il se comporte comme un corps étranger au sein d'un organisme.