Analyse, le chonson du mal
Hanté par la pensée de celle qui l’a repoussé, Apollinaire croit partout reconnaître la femme qu’il ne cesse d’aimer et à qui il reproche amèrement de l’avoir trahi. Cette obsession et cette déception s’expriment dans le récit de deux rencontres, humiliantes et dégradantes, qui sont l’image du « faux amour ». La première rencontre, relatée dans les strophes I et II, est celle d’un « voyou » ; la seconde, celle d’une fille des rues, est décrite dans les strophes IV et V. Elles sont séparées par les réflexions du « mal-aimé » qui, dans la strophe III, proteste de sa fidélité et de sa sincérité.
Strophe I
Le premier vers constitue une allusion au séjour qu’Apollinaire effectua à Londres en septembre 1903, la « demi-brume » correspondant à cette époque de l’année. Mais surtout, il crée d’emblée une atmosphère irréelle et louche : « Un soir » est assez vague et, par sa résonance romanesque, frappe l’imagination ; « demi-brume » qui, au contraire de « demi-jour », est un néologisme, impose l’image d’un monde flou, voire inquiétant ; quant à la ville de Londres, elle symbolisait alors les grandes métropoles cor-rompues. Ce triste renom et les mauvaises conditions de visibilité préparent l’apparition du « voyou ».
Sur le plan de la versification, le vers 2 enjambe hardiment sur le vers 3, puisqu’il reporte sur celui-ci les termes indispensables à sa compréhension : « Un voyou qui ressemblait à / Mon amour vint à ma rencontre ». Cet enjambement, qui permet de placer « voyou » et « amour » en tête de vers, met ainsi en relief les deux mots clés