Anthologie de poèmes
(Version réduite)
Chez moi, dit la petite fille
On élève un éléphant.
Le dimanche son œil brille
Quand Papa le peint en blanc.
Chez moi, dit le petit garçon
On élève une tortue.
Elle chante des chansons
En latin et en laitue.
Chez moi, dit la petite fille
Notre vaisselle est en or,
Quand on mange des lentilles
On croit manger un trésor.
Chez moi, dit le petit garçon
Vit un empereur chinois.
Il dort sur le paillasson
Aussi bien qu’un Iroquois.
Iroquois ! dit la petite fille.
Tu veux te moquer de moi.
Si je trouve mon aiguille,
Je vais te piquer le doigt !
René de Obaldia, Innocentines (1969)
LE CANCRE
Il dit non avec la tête
Mais il dit oui avec le cœur
Il dit oui à ce qu'il aime
Il dit non au professeur
Il est debout
On le questionne
Et tous les problèmes sont posés
Soudain le fou rire le prend
Et il efface tout
Les chiffres et les mots
Les dates et les noms
Les phrases et les pièges
Et malgré les menaces du maître
Sous les huées des enfants prodiges
Avec des craies de toutes les couleurs
Sur le tableau noir du malheur
Il dessine le visage du bonheur.
Jacques Prévert, Paroles (1946)
Tristesse d'une licorne
Je l'aperçus soudain au détour d'un sentier.
J'admirais l'allure, le port de tête altier,
La robe couleur des neiges éternelles.
Jamais je n'avais vu licorne aussi belle.
M'approchant doucement, je vis qu'elle pleurait,
Des larmes de cristal de ses yeux ruisselaient.
Je me demandais ce qui pouvait l'affliger
Quand à ma surprise elle se mit à parler.
Je pleure, dit-elle, sur tous ceux de ma race.
Bientôt de nous il n'y aura plus de trace.
Car les hommes ont oublié notre magie,
Ne pensant qu'à l'argent qu'ils portent en effigie.
Au dieu béton ils offrent, en sacrifice,
La nature pour bâtir leurs édifices,
Sans remords agrandissent leurs territoires,
Détruire la forêt parait dérisoire.
Au nom de l'énergie, ils polluent nos ondes,
En cela ont l'imagination féconde.