Antigone
C'est vrai, c'était encore la nuit. Et il n'y avait que moi dans toute la campagne à penser que c'était le matin. C'est merveilleux, nourrice. J'ai cru au jour la première aujourd'hui.
LA NOURRICE
Fais la folle ! Fais la folle ! Je la connais, la chanson. J'ai été fille avant toi. Et pas commode non plus, mais dure tête comme toi, non. D'où viens-tu, mauvaise ?
antigone, soudain grave.
Non. Pas mauvaise.
LA NOURRICE
Tu avais un rendez-vous, hein? Dis non, peut-être.
antigone, doucement.
Oui. J'avais un rendez-vous.
LA NOURRICE
Tu as un amoureux ?
antigone, étrangement, après un silence.
Oui, nourrice, oui, le pauvre. J'ai un amoureux.
la nourrice, éclate. Ah ! c'est du joli ! c'est du propre ! Toi, la fille d'un roi ! Donnez-vous du mal ; donnez-vous du mal pour les élever ! Elles sont toutes les mêmes. Tu n'étais pourtant pas comme les autres, toi, à t'attifer toujours devant la glace, à te mettre du rouge aux lèvres, à chercher à ce qu'on te remarque. Combien de fois je me suis dit : « Mon Dieu, cette petite, elle n'est pas assez coquette ! Toujours avec la même robe et mal peignée. Les garçons ne verront qu'Ismène avec ses bouclettes et ses rubans et ils me la laisseront sur les bras. » Hé bien, tu vois, tu étais comme ta sœur, et pire encore, hypocrite ! Qui est-ce ? Un voyou, hein, peut-être ? Un garçon que tu ne peux pas dire à ta famille : « Voilà, c'est lui que j'aime, je veux l'épouser. » C'est ça, hein, c'est ça ? Réponds donc, fanfaronne !
ANTIGONE a encore un sourire imperceptible.
Oui, nourrice.
LA NOURRICE Et elle dit oui ! Miséricorde ! Je l'ai eue toute gamine ; j'ai promis à sa pauvre mère que j'en ferais une honnête fille, et voilà ! Mais ça ne va pas se passer comme ça, ma petite. Je ne suis que ta nourrice, et tu me traites comme une vieille bête, bon ! mais ton oncle, ton oncle Créon saura. Je te le promets !
ANTIGONE,