Cahier d'un retour au pays natal
AIME CESAIRE
(1913 – 2008)
Descendant des anciens esclaves déportés de leur Afrique natale vers l’Amérique et privés de leurs langues, de leurs religions, de leurs folklores, il s’est senti très vite, dans l'île de son enfance qui était une colonie, seul, désorienté, mal à son aise. À Basse-Pointe, petit village du nord de la Martinique, les vagues immenses, le paysage lui plaisait beaucoup, mais il avait le sentiment très profond d’un progrès à faire, d’une pente à remonter, les Noirs n’étant pas pleinement ce qu’ils devaient être. La jeune génération de cette époque n'avait qu'une idée : s’en sortir et, pour cela, faire des études, passer tel examen, tel concours, aller en France, obtenir un poste en Afrique, au Sénégal ou ailleurs. Son père, qui était, à Fort-de-France, fonctionnaire des contributions, lui ayant fait lire tout Dumas et d’autres romanciers français, il était passionné par la littérature, par le français, par le latin. Après l’école primaire du village, il fut aussi, au lycée Schœlcher, à Fort-de-France, un très bon élève, intéressé par ce qu’il apprenait. Ses professeurs étaient des hommes de couleur qui croyaient avoir la mission d’élever leur peuple à un niveau supérieur de culture. L’un d’eux l’incita à continuer ses études en France. Il obtint une bourse et, en 1932, partit à Paris. Au lycée Louis-le-Grand, en hypokhagne, il rencontra le Sénégalais Léopold Sédar Senghor duquel il resta très proche pendant plusieurs années, entrant avec lui à l'École normale supérieure. Senghor lui fit connaître les contes et les légendes africains, ‘L’histoire de la civilisation africaine’’ de l’ethnologue allemand Leo Frobenius. Ce fut pour lui la révélation d’un monde dont il n’avait que de très vagues prémonitions. Il a alors compris que la société martiniquaise est une société aculturée, une civilisation noire transportée dans un autre milieu, où elle s’était peu à peu dégradée, aliénée, pour en arriver à un magma