Cioran-le crépuscule des pensées
Emil Michel Cioran
1940
Le crépuscule des pensées
Emil Michel Cioran
Toutes les pensées semblent les gémissements d’un ver écrasé par les anges. Là où surgit le paradoxe, le système meurt et la vie triomphe. C’est par lui que la raison sauve son honneur devant l’irrationnel. Ce qu’il y a de trouble dans la vie ne peut être exprimé que dans la malédiction ou l’hymne. Qui ne peut en user n’a qu’une seule solution à sa portée : le paradoxe – sourire formel de l’irrationnel… Les philosophes sont les agents malheureux de l’Absolu payés des contributions de nos douleurs. Ils se sont fait une profession de prendre le monde au sérieux. L’homme qui pratique la lucidité pendant toute sa vie devient un classique du désespoir. Ce n’est pas moi qui souffre dans ce monde, mais le monde qui souffre en moi. L’individu n’existe que dans la mesure où il concentre la douleur muette des choses : des guenilles à la cathédrale. Et de même, il n’est vie qu’à partir du moment où, du ver à Dieu, les êtres se réjouissent et gémissent en lui. Deux types de philosophes : ceux qui pensent sur les idées et ceux qui pensent sur eux-mêmes. La différence entre le syllogisme et le malheur… Pour un philosophe objectif, seules les idées ont une biographie ; pour un philosophe subjectif, seule l’autobiographie a des idées. On est prédestiné à vivre à proximité des catégories ou en sa propre proximité. En dernière instance, la philosophie est la médiation poétique du malheur.
Biographie de l’auteur
Emil Michel Cioran, de son vrai nom Emil Mihai Cioran est un philosophe et écrivain roumain, né le 8 avril 1911 à Răşinari en Roumanie, puis mort le 20 juin 1995 à Paris. Dès l'âge de 22 ans, il s'illustre avec l'écriture de son premier ouvrage, « Sur les cimes du désespoir ». Il étudie en Allemagne et, de retour dans son pays d'origine, devient professeur de philosophie et intègre les jeunesses fascistes. Alors que son troisième