"Il semble que nous ayons toujours besoin de l'utopie, dans sa fonction fondamentale de contestation et de projection dans un ailleurs radical, pour mener à bien une critique également radicale des idéologies. Mais la réciproque est vraie.
Tout se passe comme si, pour guérir l'utopie de la folie où elle risque sans cesse de sombrer, il fallait en appeler à la fonction saine de l'idéologie, à sa capacité de donner à une communauté historique" son identité?

L'utopie signifie à la fois le meilleur des lieux (eu topie) et un non lieu (a topi) en grec.
Il s'agit donc d'un endroit qui serait fabuleux mais il est aussi question d'un endroit qui ne se situerait nulle part, un lieu qui relève du monde onirique. L'utopie se distingue de l'idéologie qui elle provient des mots grecs idée (idea) et science (logos). Antoine Destutt de Tracy la désigne donc naturellement comme étant la science des idées. L’idéologie se veut être un système de pensée cohérent et neutre qui permet de rendre compte objectivement de l’ensemble des phénomènes sociaux. Ces deux notions sont intimement liées. Paul Ricoeur présente ici les relations qu'entretiennent l'utopie et l'idéologie et met en lumière leur complémentarité. En effet, l'utopie qui permet la contestation est nécessaire à la critique des idéologies mais c'est à cette dernière qu'il faut recourir pour éviter de sombrer dans la folie que peut entraîner l'utopie. On peut donc se demander pourquoi on peut dire que l'utopie et l'idéologie en tant que notions qui s'opposent sont nécessaires l'une à l'autre ? Nous présenterons donc dans une première partie le processus par lequel les hommes se projettent dans l'utopie et nous expliciterons ce point en détaillant au travers d'exemples concrets l'importance de l'utopie dans la critique des idéologies. Dans une seconde partie, nous chercherons à comprendre de quelle manière l'idéologie parvient à se poser comme un rempart à la folie à laquelle l'utopie peut conduire et nous reviendrons