Commentaire sur "de l'homme " de la bruyere
Les Caractères, grand œuvre du moraliste La Bruyère, offre une riche galerie de portraits satiriques. Si les lecteurs du xviie siècle voulaient y voir des allusions à des personnages réels de l'époque et faisaient même circuler des « clés », ces portraits n'en restent pas moins des observations d'une grande acuité dans lesquelles La Bruyère épingle différents vices de la nature humaine en général. Ainsi, dans le chapitre « De l'homme », le moraliste dresse le portrait de Gnathon, un être profondément égoïste, se comportant en goujat et méprisant autrui. Le personnage prend une dimension quasiment allégorique et permet à l'auteur de dénoncer, par le biais d'une caricature très satirique, l'égocentrisme. Comment La Bruyère procède-t-il pour mener la critique de ce défaut ? Nous verrons dans un premier temps que Gnathon apparaît comme un être répugnant, avant d'étudier ensuite son égocentrisme. Enfin, nous observerons comment le portrait prend une dimension générale.
I. Un être répugnant
1. Un goinfre
Le portrait de Gnathon est un portrait en actes. La Bruyère présente son personnage dans différentes situations de la vie courante et accorde en particulier une grande attention au comportement de son personnage à table. En effet, sa manière de manger occupe plus de la moitié du texte et Gnathon apparaît d'emblée comme un être répugnant et goinfre. Il semble affamé et se remplit de nourriture sans arrêt et presque sans discernement, comme le soulignent les phrases relativement longues et souvent composées de propositions simplement juxtaposées : « il se rend maître du plat […] : il ne s'attache à aucun des mets […] ; il voudrait pouvoir les savourer tous ». De même, l'accumulation de verbes suivante suggère la rapidité de Gnathon à s'emparer de la nourriture : « il manie les viandes, les remanie, démembre, déchire ». Il mange ainsi de manière mécanique, presque compulsive, et comme s'il n'allait jamais s'arrêter. Alors que le fait de se curer les