Etude du Grand voyage
Depuis : “Une semaine après... »“ (p. 208) jusqu’à « ...ce coup de vin blanc. » (p.210)

Quelques semaines après sa libération de Buchenwald, Jorge Semprun a commencé à écrire le premier jet de ce qui deviendrait Le grand voyage. Quelques mois plus tard, au début de 1946, il prend la décision de renoncer à écrire, d’oublier. Il existe donc chez Semprun une tension très nette entre deux démarches contradictoires, se taire et effacer l’angoisse concentrationnaire, ou témoigner et revivre le cauchemar de la déportation. Un dilemme qu’il a synthétisé dans le titre d’un livre paru en 1996, L’écriture ou la vie.
Ce dilemme, Semprun l’expose dès Le grand voyage. Dans son refus de raconter le camp à son ami le plus intime, dans le rapport ambigu qu’il manifeste à la parole, le narrateur du premier récit montre déjà le conflit, ou la complémentarité, qui existe entre le témoignage et l’oubli.
Nous dégagerons d’abord l’organisation dialectique du récit, ce qui nous amènera ensuite à étudier la remise en question de la parole, et enfin à traiter des vertus de l’oubli.

I. Organisation dialectique du récit
1. Un texte réflexif
Cet extrait du récit est réflexif : parce qu’il est mise en abyme (récit de la paysanne sujet du récit du narrateur), et parce que le dialogue entre le narrateur et Michel porte sur le témoignage. On y observe une forme mineure d’enchâssement : par association d’idée, le narrateur interrompt le récit du récit de la paysanne pour parler de la conversation tenue la veille avec Michel sur le témoignage problématique à propos de Buchenwald, puis le narrateur revient à son récit initial. Cette analepse possède une fonction dialectique : à la paysanne qui raconte sans offrir à boire, elle oppose le narrateur qui mange et boit sans raconter. En outre, la réflexion sur le témoignage est transcrite au travers d’un dialogue entre Michel et le narrateur.
2. Un dialogue éclairant
La conversation entre le narrateur et Michel,